Vous trouverez dans cette rubrique les portraits d'acteurs historiques parfois de premiers plan à la destinée exceptionnelle mais finalement souvent inconnus du grand public.
Le général Jean Humbert, 1767-1823
Jean Joseph Amable Humbert est né le 22 août 1767 dans une ferme à Saint Nabord dans les Vosges, de parents paysans. Rien
ne prédestinait cet enfant de la campagne à l’incroyable vie qui allait être la sienne. Personnage peu étudié par les historiens, on le croise à l’occasion des récits des guerres de la République, sous la Convention, le Directoire et le Consulat. Les ouvrages et sites qui l’abordent ont tendance à tous reproduire les mêmes grands traits d’une vie certainement haute en couleur.
Le général Jean Humbert,
gravure, XIXème s.,
par Valerian Gribayedoff
Sachant à peine lire et écrire après une jeunesse passée à braconner, à mener du bétail, à travailler comme colporteur et à faire le commerce des peaux de lapins, la Révolution le cueille à Lyon en 1789. Il rejoint alors la Garde Nationale créée en juillet. Il est décrit plus tard comme un solide gaillard au tempérament fougueux et brutal si nécessaire.
En 1792, il répond à l’appel de l’Assemblée Nationale et s’engage au 13ème Bataillon de Volontaires des Vosges pour aller défendre la Nation dans la Guerre contre l’Autriche. Devenu Sans-Culotte, il participe à l’occupation de Mayence assiégée par la Coalition. Son ascension dans l’armée révolutionnaire est rapide, il passe de simple volontaire à Lieutenant-Colonel de son régiment entre avril et août, élu par ses pairs.
Monnaie révolutionnaire française de 1 Sol
du siège de Mayence, émise de mai à juillet 1793
"Le volontaire de 1792",
de Paul-François Chopin, 1899,
Remiremont, Vosges
Le 13ème Bataillon de Volontaires est ensuite affecté à l’Armée de l’Ouest. A l’occasion de la Terreur instaurée par Robespierre en 1793, le 13ème est envoyé combattre en Vendée. Humbert est présent à la bataille de Savenay qui marque l’anéantissement de l’armée vendéenne le 23 décembre. Certaines sources affirment que Jean Humbert participe aux massacres de civils pendant la Grande Terreur quand d’autres soulignent son humanité et qu’il prend part aux tractations avec les Chouans pour mettre fin à la violence. Il est élevé au grade de Général de Division le 9 avril 1794 après la bataille de Cholet. Il reste ensuite en Bretagne et combats à Quiberon en 1795 pour repousser le débarquement des Émigrés, les troupes royalistes aidées par l’Angleterre.
« Henri de La Rochejacquelein
au combat de Cholet en 1793 »
Toile de Paul-Émile Boutigny,1889,
Musée d’Art et d’Histoire de Cholet
« Épisode de la déroute de Quiberon »
Toile de Pierre Outin, 1889
Musée d’Art et d’Archéologie de Moulins-sur-Allier
Après un passage à l’Armée Rhin-et-Moselle, il est envoyé deux fois par le Directoire à la tête d’une Armée de Libération de l’Irlande pour lutter contre les Anglais. La première tentative en 1796 n’atteint pas la Verte Erin à cause d’une tempête mais l’amène à livrer des batailles navales sur les côtes de Bretagne. Dans l’une d’entre-elle, qui tourne mal, il échappe aux Anglais et rejoint la côte bretonne en radeau.
“The end of The Irish Invasion” ou
“The Destruction of the French Armada”,
caricature par James Gilray, 20 janvier 1797
De passage à Paris, Jean Humbert a le temps de prendre part au coup d’état républicain du 18 Fructidor An V (04/09/1797) contre une frange royaliste qui menace le Directoire.
« Journée célèbre du 18 Fructidor An 5 de la République », eau forte et burin de Pierre-Gabriel Berthet, d’après Abraham Girardet graveur, publié en 1802, BNF, Paris
La seconde expédition à destination de l’Irlande en 1798, voit sa petite force militaire de mille hommes débarquer à Killala au nord-ouest de l’île et soulever la population locale. Il remporte immédiatement la Bataille de Castlebar contre les Anglais. Cette victoire entraîne la proclamation de l’éphémère République irlandaise de Connaugh et la nomination d’un Président de la République, John Moore, par décret d’Humbert le 14 Fructidor An VI (31/08/1798).
Mais alors que la troisième expédition française amenant des renforts est repoussée en mer par la Navy britannique, les renforts anglais du général Cornwallis mettent fin à la république après une semaine d’existence et ses héros sont pendus. Humbert, détenu par les Anglais est finalement libéré rapidement suite à un échange de prisonniers.
Le drapeau de la rébellion irlandaise de 1798 et des United Irishmen
« The Races of Castlebar », début XiXème s., gravure, auteur inconnu.
L’œuvre décrit la fuite des Britanniques devant les Irlandais et les Français du général Humbert.
De retour sur le continent, le général Humbert sert deux ans dans les armées du Danube et d’Helvétie qui occupent la Bavière et la Suisse, il prend part aux deux batailles de Zurich en septembre 1799 contre les Russes.
"La bataille de Zurich'"
par François Bouchot, 1837
Galerie des Batailles du château de Versailles
Puis en 1801, Humbert est envoyé à Saint Domingue. L'île a vu le très habile Toussaint Louverture, ancien esclave de la colonie prendre le contrôle de l’île sucrière à la suite des nombreux conflits qui ont suivi la Grande Révolte des esclaves de 1791.
« Capture du Cap aux Français par l’Armée française »
gravure, auteur inconnu, BNF, Paris
A peine nommé général par Bonaparte,
Toussaint Louverture a en effet envahi la partie hispanique de l’île mettant en péril la politique de conciliation du Premier Consul à l’égard de l’Espagne.
Bonaparte envoie alors une expédition de trente mille hommes à Saint Domingue reprendre le contrôle de l’île et réinstaller l’esclavage.
Carte de Saint Domingue, 1802, par Ambroise Tardieu
Cette carte fait partie du Volume 8 du « Précis des évènements militaires – Une histoire des campagnes militaires napoléoniennes » du Général Comte Mathieu Dumas.
A Saint Domingue, Humbert sert sous le commandement du général Rochambeau et là encore les sources divergent. L’attitude de Humbert sur place déplait à ses chefs, on l’accuse de trafics divers, de débauche et d’entretenir de bonnes relations avec la population locale au point de refuser de massacrer les Noirs.
« Bataille de Saint Domingue », Insurgés face à la Légion polonaise
par January Suchodulsky, 1845, Musée Militaire de Pologne, Varsovie
De plus, fervent républicain il marque peu d’empressement à soutenir le Ier Consul dans sa marche vers l’Empire. Mais, c’est peut-être sa liaison avec Pauline Bonaparte, sœur du Ier Consul et épouse du Commandant en Chef de l’expédition, le général Charles Victoire Emmanuel Leclerc, qui envenime les choses et le voit rappelé en France en 1802.
« Vénus Victrix » ou Pauline Bonaparte Borghèse,
par Antonio Canova, 1808,
Galerie Borghèse, Rome
Certaines sources avancent qu’il déserte alors en bateau avec la caisse du régiment et rejoint la bande de pirates des frères Laffitte à La Nouvelle Orléans en Louisiane après un séjour à Santiago de Cuba, si c’était vrai cela représenterait un cas très rare de désertion d’un général de Napoléon Bonaparte.
D’autres sources semblent d’accord pour dire qu’il rentre en France, tombe en disgrâce auprès de Bonaparte et se retrouve mis au placard à se morfondre dans son château de Crévy, près de Plöermel en Bretagne, acquis en 1796, faute de commandement.
Château de Crévy, Morbihan,
propriété du général Humbert de 1796 à 1809
Le général Humbert aurait effectué une tentative de retour avec l’Armée du Nord en Hollande en 1809-1810, mais sans grand succès. Il quitte définitivement la France en 1812, avec ou sans autorisation, pour se rendre aux États-Unis. Il rejoint donc la République de la Barataria des frères Laffitte dans les bayous de Louisiane, car son passage à la piraterie est certain.
Gravure représentant Jean Laffitte attribuée à Frances Jones, 1895, publiée dans « New Orleans,
the Place and the People » by Grace King
Portrait de Jean Laffitte, auteur inconnu, début du XIXème s.,
Rosenberg Library, Galveston, Texas, États Unis
Pour un aventurier, les côtes du golfe du Mexique sont au début du XIXème s. une terre d’opportunité. La vente de la Louisiane aux États-Unis par Bonaparte en 1803, n’a pas pour autant installé l’autorité américaine sur la région. Depuis la Nouvelle Orléans et la République de la Barataria des frères Laffite, de nombreux réfugiés français de Saint Domingue vivent au contact des pirates des bayous très proches. Les bayous du delta du Mississipi résonnent des coups de mains contre "Louisiana Bayou" Rudolph Harold, vers 1875, les navires d’un empire espagnol New Orleans Museum of Art, New Orleans finissant, du commerce des esclaves et de toutes sortes de contrebandes.
Peut-être Jean Humbert rencontre-t-il Louis-Michel Aury le corsaire français installé sur l’île texane de Galveston. C’est peut-être ce dernier, dont les navires portent plus tard le pavillon de l’Argentine qui l’intéresse à la cause du Rio de la Plata car Humbert se rend en 1814 à Buenos Aires pour participer à la lutte pour l’indépendance de l’Argentine. Dans ce grand conflit, le cône sud de l’Amérique depuis le Pérou et l'Uruguay suit des généraux de toutes origines afin d’affirmer l’idée de nation contre l’empire espagnol et d’inventer des frontières. Le général Humbert assura un bref commandement pendant le conflit.
« El grito de ascenco », toile de Carlos Maria Herrera, date inconnue (XIXème s.), Soriano Departamento del Arte, Uruguay.
Ce tableau représente le début de la « révolution orientale », le conflit de l’indépendance de l’Uruguay en 1811 qui s’ajoute à la guerre d’indépendance de l’Argentine
Jean Humbert rentre à temps en Louisiane quand la Guerre dite « de 1812 » entre les États-Unis et l’Angleterre s’y invite en 1815. Il participe à la bataille victorieuse pour la défense de La Nouvelle Orléans contre les Anglais avec les frères Lafitte et leur armée de pirates, qui se rangent aux côtés des Américains par pragmatisme politique.
“The Battle of New Orleans, Glory, Love and Loyalty,
an Historical and National Drama in Five acts”,
récit de C.E. Grice, 1816
Le général Humbert lance à cette occasion un appel aux nombreux Français installés en Louisiane à rejoindre l’armée de la Barataria contre les Britanniques afin de montrer leur attachement à la jeune nation américaine. Il se bat alors avec son uniforme de général de la République française quoique considéré américain, comme l’armée de la Barataria. Le général Andrew Jackson, futur septième président des États-Unis, le remercia de son aide.
"La Bataille de La Nouvelle Orléans", 1815,
par Jean-Hyacinthe Laclotte ingénieur du général Jackson,
Les Américains et les pirates français sont à gauche
Humbert est l’un des fondateurs de la ville de Galveston avec Pierre Laffite frère de Jean Laffitte, qui y installe une république pirate de Campeche sur les côtes du Texas alors mexicain. Jean Humbert, gouverneur de Galveston, prend ensuite part à la lutte pour l’indépendance du Mexique en 1816 aux côtés de Juan Bautista Mariano Picornell y Gomila, un révolutionnaire espagnol, premier traducteur en castillan de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789. Ils font le projet d'envahir le Mexique en commençant par le Texas. Ils engagent pour cela des volontaires à La Nouvelle Orléans que devront transporter les frères Laffitte. Mais l'affaire échoue. Humbert se livre à la place à l'attaque des navires espagnols, ce qui lui vaut quelques déboires avec la justice américaine de Louisiane dont il se tire facilement, grâce à ses relations.
« La bataille du Mont des Croix » pendant la guerre d’indépendance du Mexique en 1810, gravure, XIXème s., auteur inconnu
"La maison Laffitte" de Bourbon Street à La Nouvelle Orléans construite vers 1770 et photographiée en 2004.
Elle est à l'origine l'atelier de forgeron de Pierre Laffitte qu’a fréquenté Jean Humbert.
[http://flickr.com/photos/lobberich/1232797727/ Flickr photo]. Photo recadrée
De la fin de sa vie à la Nouvelle Orléans, on sait qu'Humbert est devenu franc-maçon, inscrit à la loge de l’Étoile Polaire, qu’il a la réputation de boire et vit dans la pauvreté avec une maigre retraite du gouvernement français.
Après la guerre, la ville connaît un développement prodigieux grâce à l’ouverture sur le marché américain de l’intérieur et à son port. Un âge d’or auquel vont contribuer toutes les communautés de cette ville métisse.
"Le marché de La Nouvelle Orléans en 1820", gravure, auteur inconnu
On peut imaginer Jean Humbert vêtu en général révolutionnaire déambulant dans l'effervescences des rues de la ville.
"Faubourg Marigny" par Felix Achille Beaupoil de Saint Aulaire,
Scène de rue de La Nouvelle Orléans en 1821,
The Historic New Orleans Collection
Il a pu trainer sur Congo Square le dimanche avec son uniforme. Là, se réunissaient les esclaves et les métisses depuis le milieu du XVIIIème s. pour s’amuser en dansant au son des percussions et du banjo. Il aurait ainsi assisté à la naissance du Jazz.
« Dancing in Congo Square » gravure, 1886
par Edward Winsor Kemble, l’illustration représente une scène sur la place vers 1845
Le général Jean Humbert devenu une figure de La Nouvelle Orléans meurt dans cette ville le 3 janvier 1823. Presque deux siècles après sa mort, il reste un personnage méconnu en France.
Son aventure irlandaise a été racontée par un journaliste et artiste russe Valérian Gribayedoff, en 1890, en anglais dans son ouvrage « The French Invasion of Ireland in `98 » . On doit peut-être à ce journaliste le seul portrait (début du post) que l'on trouve de lui. Il est possible que Gribayedoff ait reproduit une toile existant à l'époque.
La seule biographie référencée quand on cherche est « Le général Humbert : Un volontaire de 1792 ou la passion de la liberté » par Marie-Louise Jacotay, publiée localement dans les Vosges en 1980. Si la mémoire française l'a complètement oubliée ou presque, Jean Humbert reste cependant célébré aujourd’hui en Irlande, lui qui a participé à quatorze batailles dans sept conflits dont trois guerres d’indépendance plus une révolution et un coup d’état. Il est aussi un cas rare de général ayant tourné le dos à Bonaparte, peu séduit par le personnage.
Il y a quelque chose de préromantique chez cet homme d’action, dit sans éducation, républicain affirmé, meneur d’hommes, devenu général révolutionnaire, héros libérateur en Irlande puis pirate, qui préfigure par ses engagements pour les nations argentine, mexicaine et américaine un personnage comme Garibaldi.
Vue du fleuve Mississipi à la Nouvelle Orléans, vers 1840
gravure, auteur inconnu, tiré du livre "Cotton, Capital, and Ethnic Networks: Jewishs Economic Growth in the Postbellum Gulf South" par Michael R. Cohen
Sources :
Le meilleur site web traitant du général Humbert est celui d'une historienne américaine, Selin Shannon, de La Nouvelle Orléans spécialiste de l'histoire de la ville et de la Louisiane.
et d'autres...
Un personnage haut en couleur mais totalement tombé aux oubliettes....merci pour ce voyage fascinant dans le passé.
Marie M.